23 – Tout abandonner ?

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Précédemment

Le train qui le ramenait chez lui fut une torture. Tous les éléments semblaient se liguer contre son rêve, certes un peu utopiste, d’une société pacifiée et bienveillante, acceptant la nudité simple comme normale. Mais la morale régnait encore, dictant que la nudité était honteuse, prenant au pied de la lettre le péché originel.

Guillaume se dit qu’il allait devoir renoncer. Certes, Didier continuerait à promouvoir le naturisme et il y aiderait, mais une zone naturiste sur Rives, c’était vraisemblablement pousser le bouchon trop loin. Il était tiraillé entre être respectueux des sentiments des textiles et participer à la banalisation de la nudité publique.

Pour lui, comme pour une vaste majorité de naturistes, la nudité était normale, naturelle, sans connotation autre que ce qu’elle représentait, un corps nu. Il n’y avait aucune honte à avoir à être nu, seul ou avec d’autres. Elle avait en outre une dimension sociale indéniable. C’était un des aspects les plus mal connus et compris du naturisme. Le jour où on acceptait d’être nu avec d’autres naturistes, on réalisait combien le carcan social nous avait contraints et combien la nudité nous en libérait.

Guillaume regardait défiler le paysage. Il imaginait une France, un monde, dans lesquels se promener nu, si on le souhaitait, ne risquerait plus de tomber sous l’article 222-32 d’exhibition sexuelle, ce que la nudité simple n’était pas. Un sentiment de gâchis l’envahit. Toutes ces années de bonheur nu avec ses parents, son frère, sa famille. Toutes ces années de confort simple. Toutes ces années de simplicités. Elles étaient balayées du revers de la main par une société malade qui détruisait la planète, asservissait les gens avec des besoins de plus en plus addictifs et était incapable de pacifier les rapports humains.

Il savait que le naturisme continuerait chez lui, avec ses parents et ses amis. Il savait aussi que cela n’arrêterait pas leurs randonues et leurs séjours dans les espaces naturistes. Mais il doutait pouvoir faire de Rives un exemple de cette utopie dont il rêvait. Le train entra en gare. Guillaume attrapa son sac à dos, descendit du train et alla chercher son vélo qu’il enfourcha pour retourner chez lui. Quarante minutes plus tard, il franchissait le portail de la maison et se déshabilla dans son jardin, profitant des rayons de soleil qui réchauffait une journée pourtant fraiche.

Il s’assit sur le banc de pierre, ferma les yeux et prit de profondes respirations. Il sentait le calme l’envahir. Il se concentra sur le souffle, inhalant doucement, retenant l’air dans ses poumons, puis le relâchant en soufflant par la bouche. La méditation était un de ses supports auquel il se raccrochait quand il avait besoin de paix intérieure. Elle l’apaisait, l’aidait à y voir clair et à ancrer une vision positive de la vie quand il doutait.

Il sentait les rayons du soleil sur sa peau. Il en absorbait l’énergie. Pour Guillaume, naturisme et méditation étaient faits pour aller ensemble. Le corps humain avait besoin des rayons du soleil, la peau avait besoin de respirer et d’absorber l’énergie de la lumière et du rayonnement infrarouge pour exécuter ses fonctions vitales. Dans ces moments de calme intérieur, le naturisme et la nudité simple étaient des évidences.

À chaque fois que le doute revenait à la charge dans son esprit, il le laissait passer. Ne s’y opposait pas, se contentait de l’ignorer en revenant au souffle, puis en visualisant des souvenirs de moments naturistes heureux, les séjours avec Anne et les enfants au bord de la mer, les randonues avec Simon et Marie, le jogging avec Anne. Le doute revenait de nouveau, mais il l’ignorait. Il sentit une présence dans son dos. Il prit alors une respiration plus profonde et ouvrit les yeux. Il se retourna, c’était Anne.

— Bonjour ma chérie, dit Guillaume en se levant et en l’embrassant.

Elle passa ses bras autour de son cou et répondit à son baiser avec passion. Il la prit par la main et sans échanger un mot, la conduisit dans la chambre où ils firent l’amour, paisiblement, tout en douceur. Ils restèrent de longues minutes dans les bras l’un de l’autre, à respirer leurs odeurs et à se remettre de leur jouissance. Ils étaient bien. Ce fut Anne qui brisa le silence.

— Comment ça s’est passé ?

Guillaume lui raconta l’entretien, son côté positif et son côté négatif. Il lui confia qu’il n’était plus sûr de rien, qu’il allait sans doute renoncer au projet d’espace naturiste, qu’il ne voulait pas mettre en danger sa famille, qu’ils ne méritaient pas ça. Il parla, parla, parla, vidant son sac, dégouté, écoeuré, résigné.

— Il ne faut pas abandonner Guillaume l’arrêta-t-elle. Si tu arrêtes, ils ont gagné.

— Si je persiste, ils font recommencer.

— Tu n’en sais rien. Nous avons été naïfs. Virginie avait été naïve. Un tel événement ne se reproduirait pas.

— Une balle perdue serait pire Anne. Tu sais bien que la bande à Bonnet est capable de tout.

— Tu ne crois pas que c’est elle, cette bande, qui est derrière l’enlèvement ?

— J’en ai parlé avec Babette et je ne crois pas. Je ne la sens pas capable de faire un truc pareil. Elle sait être pénible, elle sait manier l’intimidation, mais je ne peux pas croire qu’elle soit capable de faire ce qui a été fait. En attendant, tant qu’on ne sait pas qui est derrière tout ça, je préfère enterrer le projet.

— Pourquoi tu ne le laisses pas juste en attente ? Tu dis que tu attends les résultats de l’enquête avant de poursuivre, comme le projet était mentionné comme revendication des kidnappeurs. Cela aurait un sens et n’enterrait pas le projet corps et âme.

— Je ne sais pas. Je ne pense pas que ce soit raisonnable. Il n’y a pas que la menace physique, il y a celle, à mots couverts, du préfet, donc de l’état.

— L’état protège les minorités, ce que les naturistes sont, et les libertés de conscience et d’expression.

— Oui, mais tu sais bien que le naturisme et la nudité gênent. Le retour à une certaine morale est indéniable. Il se trouvera toujours des voix qui s’opposeront au projet et qui pousseront pour que le naturisme soit pratiqué derrière des murs, dans l’ignorance visuelle d’une majorité qui se croit bien pensante parce que diabolisant le corps. Non, je ne crois pas que l’état protègera le naturisme si on lui demande. Une fois de plus, le préfet ne m’a pas encouragé à poursuivre le projet en le soutenant, il m’a fortement conseillé d’y renoncer pour des questions de sécurité publique. Je crois que le message est clair.

Anne ne répondit pas. Guillaume avait sans doute raison, mais elle bouillait intérieurement. Elle qui ne venait pas d’une famille naturiste et qui avait découvert le naturisme avec Guillaume le comprenait peut-être différemment. Elle en avait accueilli les bienfaits sur le tard et en était devenue une fervente disciple. Rien ne la ferait revenir en arrière. Elle avait souvent discuté avec Guillaume, Marie ou quelques amies de naturisme et de pudeur. Pouvait-on être pudique et nue ? Elle le croyait. La nudité et la pudeur n’étaient pas des oxymores, au contraire. Elle pensait les naturistes pudiques. Mark Twain lui revint en mémoire : « la pudeur est née avec l’invention du vêtement ». De là la confusion, se dit-elle.

— N’abandonne pas Guillaume. Tu as mon soutien, plein et entier, dit-elle pour briser le silence.

Elle posa ses lèvres délicatement sur celles de Guillaume et se leva. Il la regarda s’éloigner vers la salle de bain et sourit. Anne était belle et il avait une immense chance de l’avoir, se dit-il. Il se leva à son tour et la rejoignit sous la douche.

Ils mangèrent un morceau, assis dans la cuisine, en attendant les enfants qui n’allaient pas tarder à revenir de l’école. Le psychologue leur avait conseillé de reprendre la routine habituelle, de revenir à une vie normale, non pas comme si de rien n’était, car il continuerait à les surveiller et à discuter avec eux, mais en redécouvrant le normal et en s’habituant de nouveau à lui.

Ils les entendirent qui arrivèrent en courant et en rigolant. Ils se sourirent, complices. Agnès déboula dans la cuisine, suivi de près par son frère, en éclatant de rire et en se jetant dans les bras de Guillaume. Les deux enfants serrèrent leur père dans leurs bras avant de se débarrasser de leurs vêtements en les jetant partout. Anne leur fit ramasser, mettre dans le linge sale et les appela à table. Guillaume se sentit soudain soulagé. Sa petite famille naturiste était toujours là. La petite flamme n’était pas éteinte. Matthieu raconta sa matinée, ses copains, l’anniversaire de Sidonie, qui aurait lieu samedi et pour lequel il avait décidé de se déguiser en Frankenstein. Agnès bouda un peu, car elle n’était pas invitée, mais Guillaume lui dit qu’ils iraient se promener tous les deux pour ramasser des champignons. Avec la pluie et le beau temps qui était revenu, il y en aurait sans doute beaucoup. Cela ne lui fit pas retrouver le sourire, mais Guillaume ne fut pas dupe. Il savait qu’elle boudait juste pour montrer à son frère qu’elle existait.

Le téléphone de Guillaume sonna. Il décrocha. C’était la gendarmerie. La police polonaise avait trouvé les notes de celui qui était le chef de l’organisation criminelle derrière l’enlèvement des enfants. Le nom du commanditaire et son téléphone s’y trouvaient.

À suivre…

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