24 – La révélation

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Précédemment

Guillaume raccrocha, hésitant entre un large sourire et une grimace de dégout. Il leva la tête vers Anne, qui le regardait d’un air interrogatif.

— La police a identifié le commanditaire de l’enlèvement.

— Et ?

— Émile Bonnet.

— Non !?

— Si ! Il a tout avoué. Il reste en garde à vue pour le moment. On en saura sans doute un peu plus ce soir.

Le téléphone de Guillaume sonna de nouveau. Le nom de Babette s’afficha. Il décrocha.

— Allo. Babette, bonjour.

— Bonjour Guillaume. Je voulais m’excuser. Je sais que des excuses n’effaceront jamais ce qu’il s’est passé, mais je m’excuse sincèrement.

— Tu n’as à t’excuser de rien Babette. Tu n’es pas responsable des agissements de ton père.

— Je ne pensais pas qu’il était capable de faire ce qu’il t’a fait.

Un silence de malaise s’installa. Guillaume hésita quelques instants.

— La justice fera son travail pour comprendre les motifs et définir la responsabilité exacte. Nous verrons bien.

— Je sais Guillaume, mais s’en prendre à des enfants, c’est d’un lâche. Voilà. Quand tu m’as soupçonnée, ça m’a fait mal, parce que je suis parfois revancharde et je n’aime pas perdre, mais m’en prendre à des enfants, ça jamais.

— Tu étais la coupable idéale pourtant et tu avais tout fait pour jeter les soupçons sur toi.

— Je sais. Je veux que tu saches que je ne suis pas la femme que tu crois que je suis. Certes, je suis et resterai une Bonnet, avec tout ce que ma famille m’a légué. Mais ce qu’a fait mon père me révulse. Il restera mon père, il a de bons côtés, mais je ne sais pas si j’arriverai à lui pardonner.

— Écoute Babette, cette histoire est derrière nous. Sans vouloir être égoïste, les problèmes avec ton père sont tes problèmes et tu auras à les gérer toi-même. Ce que je sais, c’est que tu n’es pas ton père et quoique la justice décide, tu peux compter sur moi pour faire la part des choses.

— Merci Guillaume. Encore une fois, je m’excuse et je suis contente que toi et Anne ayez retrouvé vos enfants sains et saufs. On se voit à la mairie mercredi ?

— Oui Babette. Merci de ton coup de fil.

Guillaume raccrocha, pinça ses lèvres, comme il faisait quand il réfléchissait avec intensité. Il plaignait Babette qui allait devoir affronter une vérité, pas forcément, jolie jolie.

— Elle t’a dit qu’elle n’avait rien à voir avec les agissements de son père, demanda Anne ?

— Exactement.

— Je n’en crois pas un mot.

— Laissons-lui le bénéfice du doute. Elle ne se semblait pas jouer la comédie au téléphone.

— Peut-être, mais j’ai du mal à croire qu’un loup engendre un agneau.

— Oh, Babette n’est pas un agneau, elle reste une louve, si je veux reprendre ton image. Mais je la crois sincère quand elle dit qu’elle ne s’en serait jamais pris à des enfants.

— Tu verras, on en reparlera.

En plus d’Émile, quelques personnes de son entourage furent aussi placées en garde à vue. Petit à petit, le mystère s’éclaircissait et la culpabilité d’Émile Bonnet semblait évidente. Son avocat, malgré toutes les tentatives dilatoires et un mutisme de son client, n’empêcha pas le procureur de demander l’ouverture d’une enquête, afin de réunir toutes les preuves tangibles à une possible mise en examen pour enlèvement et séquestration.

La comparution devant le juge devait avoir lieu le lendemain. Les faisceaux étaient tous concordants. Le procureur de la République n’avait aucun doute. Les documents réunis à la fois en Pologne et au domicile d’Émile montraient sa culpabilité et la complicité de certains de ses hommes de main. Il sentait qu’il avait mis le doigt sur quelque chose de peut-être plus gros que l’enlèvement des petits. On avait l’impression d’avoir à faire à une organisation quasi mafieuse, avec des réseaux un peu partout et des agissements identiques aux mafias calabraises ou marseillaises.

Le juge d’instruction connaissait bien Émile Bonnet. De la même génération, il se trouvait qu’ils avaient été sur les bancs de l’école de la rue Saint Guillaume pendant une année. Ils n’étaient pas de la même promotion, mais ils s’étaient croisés et sans se lier d’amitié, le fait de venir de la même région avait tissé quelques liens. On ne pouvait cependant pas faire deux personnalités plus différentes. Le juge, Victor Casenave, était un taiseux, besogneux et attaché à la vérité, là où Émile était extraverti, arrogant et manipulateur, n’hésitant pas à fouler la vérité au pied.

Les liens avec le groupe criminel polonais ne dataient pas de cette affaire. Il semblait même qu’ils remontaient à la seconde guerre mondiale et au père d’Émile qui avait des accointances avec le grand-père de l’homme qui avait été identifié et arrêté comme tête de l’organisation. Toujours est-il qu’Émile avait demandé à son « ami », comme il l’appelait, de s’occuper de la famille Pétrie pour l’effrayer, mais en aucun cas d’enlever et de séquestrer ses enfants. Il nia tout en bloc et fit même preuve de contrition, en tout cas, ce fut ce qu’essaya de faire croire son avocat. Quand la justice essaya de savoir si Émile avait payé son « ami », elle tira un fil qui mit à jour une pelote bien emmêlée qui les mena en Suisse et au Luxembourg et se heurta à quelques sociétés-écrans. Il faudrait sans doute du temps pour comprendre les ramifications en jeu, mais il y avait sans doute une affaire de fraude fiscale, en marge du crime qui l’intéressait pour l’instant.

L’avocat de la famille Bonnet essaya de rejeter la responsabilité sur un des employés du domaine, Polonais, qui avait accueilli les deux hommes et loué le chalet. C’était le bouc émissaire idéal. La préméditation était bien pensée. C’était cet employé qui avait appelé avec son téléphone les deux hommes et leur patron. C’était aussi cet employé qui avait échangé des mails. C’était cet employé qui avait trouvé le chalet. C’était, enfin, cet employé qui avait cru bon de consigner par écrit les ordres que lui avait donnés Émile directement de vive voix quelques semaines auparavant et d’enregistrer leurs conversations. Il ne se gêna pas pour charger Émile sans fuir pour autant ses responsabilités.

Le juge relâcha Émile et le Polonais, après les avoir mis en examen et placés sous contrôle judiciaire, ce que contesta l’avocat et que rejeta quelques jours plus tard la cour d’appel. Ce que n’avait cependant pas prévu le juge, l’avocat, ni, à priori, Émile Bonnet, fut que le Polonais allait être retrouvé le lendemain pendu dans sa maison. Un suicide ?! Personne n’y croyait, surtout pas la police, mais les enquêtes futures ne trouveraient rien et la thèse du suicide fut retenue. Bonnet ou une branche de la filière polonaise ? Nul n’en saurait jamais rien. L’instruction judiciaire d’Émile Bonnet allait pouvoir continuer, entachée d’un mort.

Quand le conseil municipal se réunit le lendemain, l’atmosphère était pesante. Guillaume avait modifié l’ordre du jour au dernier moment pour ne pas aborder de question qui fâche Babette, en particulier celle de l’espace naturiste. Personne ne fit remarquer ce changement à l’agenda et le conseil se termina sans qu’une opposition ne se place entre Guillaume et les décisions du conseil.

La mise sous contrôle judiciaire de la personne la plus en vue à Rives faisait parler dans tous les foyers. D’un côté, c’était la sidération. Comment un homme respecté, et craint, avait pu se retrouver dans le box des accusés ? De nombreux Rivains ne voulaient pas croire à la culpabilité de leur ancien maire. Certes, il avait ses côtés un peu arrogants et ses manières parfois cavalières de mener ses affaires, mais rien ne laissait soupçonner ce côté sombre. On penchait pour la machination, orchestrée par ce groupe de mafieux polonais. Malgré toutes les preuves qui s’accumulaient et allaient continuer à s’accumuler pendant les jours qui allaient suivre, le doute allait subsister.

Même dans la tête de Guillaume, il était présent. D’un côté, il était soulagé, d’un autre, il se demandait encore si tout ceci ne cachait pas plus. Si Émile avait été capable de faire enlever des enfants, qu’avait-il, lui ou ses aïeux, été capable de faire ? Cette idée lui trottait dans la tête et l’inquiétait. De quoi était-il vraiment capable ? Que ce se serait-il passé si on n’avait pas retrouvé les enfants ? Est-ce que les deux kidnappeurs avaient ordre de les tuer et de les faire disparaitre ? Rien qu’à l’évocation de cette éventualité, Guillaume ferma les yeux et son cœur se mit à battre la chamade. Il devait retrouver ses esprits et son calme. Arrêter d’imaginer le pire. Il ne s’était pas produit et ne se produirait sans doute pas dans le futur.

Quand il arriva chez lui, de retour de la mairie, il fila prendre une douche et se glissa sous la couette pour faire une sieste. Il s’endormit à peine avait-il fermé les yeux. Anne vint le voir et le regarda dormir, un sourire aux lèvres. Elle l’aimait et trouvait que cette épreuve qu’ils avaient vécue ensemble les avait encore rapprochés et rendus forts. Elle posa ses lèvres sur son front et sortit de la chambre à pas feutrés.

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