Alors qu’un petit groupe organisait rapidement la battue et répartissait les rôles, aidé par un officier de gendarmerie cynophile, un gendarme faisait un point rapide avec Guillaume.
Le SMS n’avait pas pu être tracé, du travail de professionnels. Quant à l’appel téléphonique, idem. Sans doute, une équipe spécialisée en deep fake, cette technique d’intelligence artificielle qui consiste à fabriquer des faux à partir de vraies voix, photos ou vidéos. Le gendarme expliqua que ces outils s’étaient banalisés depuis quelque temps maintenant et que les arnaques étaient de plus en plus fréquentes. Il existait des sociétés, à l’étranger majoritairement, qui extorquaient des sommes colossales à des personnes parfois pas si naïves que cela, qui se laissait prendre tant les faux ressemblaient à du vrai. Il était fort probable que le téléphone de Anne ait été piraté et ses conversations enregistrées pour pouvoir utiliser son empreinte de voix.
Guillaume était abasourdi. Si on était capable de faire ce genre de choses, que pouvaient faire d’autre ces hackers ? La réalité dépassait souvent la fiction montrée dans les films d’anticipation. À partir de logiciels de deep fake, il était en fait possible de tromper n’importe qui et de faire prendre la voix ou l’image de quelqu’un d’autre à n’importe qui. Il était aussi possible de faire dire n’importe quoi à n’importe qui. YouTube regorgeait d’exemples de Barack Obama tenant des propos racistes ou de Donald Trump faisant les éloges de son prédécesseur. L’industrie de la pornographie s’était engagée à ne pas changer les visages des acteurs ou actrices avec celui de personnalités afin de ne pas leur porter préjudice, ce que des petits rigolos avaient fait, collant le visage de tel ou tel acteur ou actrice sur celui d’un acteur ou actrice en plein acte sexuel, sans que le spectateur puisse se douter une seconde qu’il s’agissait d’un montage vidéo. Les résultats étaient bluffants.
Le plus troublant était que ces outils étaient maintenant à la portée de tout un chacun et qu’avec quelques compétences de base, toute personne pouvait détourner image, voix ou vidéo. C’était sans aucun doute ce qui était arrivé avec cet appel téléphonique. Les hackers qui avaient fait ça l’avaient bien fait, effaçant leurs traces afin que l’on ne puisse pas remonter à la source. Il faudrait que Anne et Guillaume acceptent de placer un mouchard sur leur téléphone pour pouvoir suivre les futurs SMS et appels, ce qu’ils acceptèrent de bonne grâce.
Le périmètre des recherches fut défini et les hommes et les femmes qui s’étaient réunis, partirent sur les zones qui leur avaient été assignées. Le temps était couvert, sans pluie et en quelques heures, des kilomètres carrés de bois et de champs avaient été couverts. Aucune trace de Matthieu ou d’Agnès. Un hélicoptère rejoignit le dispositif, volant à basse altitude et basse vitesse. Un groupe de plongeurs explora la retenue d’eau en amont de la Bellongues, sans résultats, à part quelques machines à laver et une vielle 4L.
En fin d’après-midi, personne n’avait rien trouvé et aucun indice ne permettait de conclure à quoi que ce soit, en dehors du SMS et de l’appel téléphonique. Un portrait-robot de l’homme qui avait enlevé les enfants avait été établi à partir des témoignages de Madama Loridon et de Virginie, et était diffusé dans les gendarmeries, les postes des polices et à la télé. Le visage de l’homme ne disait rien, ni à Guillaume ni à Anne. Un détail fit cependant tiquer Guillaume. Virginie avait noté que l’homme avait une cicatrice en travers de l’avant-bras. Elle l’avait remarquée quand il lui avait serré la main. Sa sœur avait fait une tentative de suicide quand elle était adolescente. Elle s’était ouvert les veines et avait gardé une trace qui était identique à celle de l’homme.
Cette cicatrice intriguait Guillaume. Il était certain d’en avoir déjà vu une au poignet de quelqu’un, mais sa mémoire lui faisait pour le moment défaut. L’officier en chef de gendarmerie vint les saluer et leur dit que les battues continueraient le lendemain et que d’ici là s’ils avaient la moindre information, qu’ils le contactent.
Guillaume, Anne, Simon et Marie regardèrent partir les dernières voitures et rentrèrent dans la maison.
— Je vais annuler le projet de zone naturiste. Ça ne peut pas durer. Je ne peux pas mettre en danger la vie de nos enfants et pourquoi pas les nôtres aussi, dit Guillaume d’un air abattu.
— Tu en as parlé avec le gendarme, demanda Simon ?
— Oui, et il me conseille de ne pas céder aux menaces. Mais je n’ai pas envie de mettre la vie d’Agnès et Matthieu dans la balance de décisions municipales concernant principalement notre mode de vie naturiste. La vie des enfants est plus importante.
Anne posa sa main sur celle de son mari.
— Si tu fais ça, ils auront raison et ils sauront qu’ils peuvent te manipuler.
— Anne a raison, dit Simon. Tu ne dois pas céder. Je sais que c’est dur.
— Mais, putain, vous ne comprenez donc pas qu’ils sont capables de tout. Le SMS et le coup de fil montrent qu’ils sont super organisés. Le gars est venu, personne ne le connait, personne ne l’a jamais vu dans la région. Si ça se trouve, c’est un tueur à gages, on n’en sait rien.
— Guillaume, tu regardes trop de séries sur Netflix.
— Simon, je ne regarde pas la télé, tu le sais bien. Et après ce que m’a dit le gendarme sur ces technologies et la possibilité de tromper tout le monde, je ne me fais pas d’illusion. Tout ceci est bien réel, ce n’est pas Hollywood et ce sont mes enfants.
— Je sais, mais je suis sûr qu’ils sont en bonne santé.
— Moi pas.
Anne essaya de calmer la conversation.
— Ce n’est pas en s’énervant qu’on fera avancer les recherches. Il faut faire confiance à la police. Avec l’alerte enlèvement, les chances de les retrouver sont importantes.
— Il y a des ratés, tu le sais, Anne, l’interrompit Guillaume.
— Oui Guillaume, il y a des ratés, mais il y a plus de succès que d’échecs. Voyons le verre à moitié plein, pas à moitié vide.
Simon et Marie partis, Guillaume et Anne se retrouvèrent seuls avec leur angoisse. Guillaume était de plus en plus persuadé que la seule solution serait de retirer le projet de zone naturiste, mais Anne insistait sur le contraire. Il n’aimait pas le conflit et cherchait toujours le consensus en toute chose. Cette situation, aussi perturbante soit-elle, exposait les faiblesses de son approche. Le consensus n’était pas possible quand des forces violentes étaient en face. C’était l’argument contraire d’Anne. Si on cédait à la violence, on la déclarait vainqueur et on en devenait son esclave. À chaque conflit futur, on s’exposait à sa réapparition. On devenait une marionnette.
Guillaume résistait. Toutes les décisions ne déclenchaient pas autant d’émotions que celle qui impliquait la nudité fut-elle simple, naturelle et sociale. Anne martelait le contraire. Toute chose vis-à-vis de laquelle on n’était pas d’accord pouvait déclencher des émotions négatives. S’il lâchait, il envoyait un signal fort de reddition. Il abandonnait son rôle de maire au profit de forces obscures. Il se résigna à aller dormir. Ils tombaient de sommeil et ils avaient besoin de repos. Demain serait un autre jour.
Guillaume se réveilla en pleine nuit, en transpiration. Il avait fait un mauvais rêve, les images de la battue se mêlant à celles des chasseurs rencontrés qui mettaient en joue Agnès et Matthieu en rigolant et en tournant autour d’eux en dansant. Il repensa au portrait-robot de l’homme. L’avait-il déjà vu ? Il se leva pour aller boire un verre d’eau à la cuisine. Il cherchait dans sa mémoire, mais comme à chaque fois qu’il se focalisait sur une chose, celle-ci lui échappait. Elle semblait jouer à cache-cache, alors qu’il savait qu’elle était là. Il suffisait de relier des points qui pour le moment ne semblaient pas vouloir l’être.
Guillaume regarda l’horloge de la cuisine. Elle indiquait trois heures vingt-deux. Il calcula qu’il avait dormi un peu moins de cinq heures. Insuffisant pour un bon repos, mais suffisant pour le moment. Il alla chercher les cartes IGN de la région et ouvrit celle des alentours du village. Il attrapa un crayon papier et entoura les zones qui avaient été parcourues par les battues. À quoi cela servait-il, se dit-il ? L’homme était parti en voiture. Il pouvait être à des kilomètres d’ici. Il devait sans doute l’être. Battre la campagne aux alentours ne servait à rien. Il prit sa tête entre les mains et laissa les larmes lui venir au visage. Il se sentait impuissant. La seule pensée qui le réconfortait était celle de la décision de tout arrêter. Il n’y avait rien d’autre à faire. S’il arrêtait, ils leur rendraient Agnès et Matthieu. C’est ce que le SMS disait en tout cas.
Anne rentra dans la cuisine. Elle y trouva Guillaume, immobile, assis devant la carte dépliée.
— Tu es là.
Guillaume leva la tête et lui sourit.
— Oui. Je vais tout arrêter…
Elle ne répondit pas, vint s’assoir sur ses genoux, passa ses bras autour de ses épaules et embrassa ses yeux larmoyants.