Didier était à pied d’œuvre aux petites lueurs du jour. Le balisage vers la clairière était en place, le parking pour les véhicules était indiqué et la zone naturiste clairement indiquée. Il faisait encore un peu frais à son goût pour se dénuder, mais le ciel bleu au-dessus de sa tête augurait d’une température agréable pour la journée. Il vit Guillaume arriver en courant depuis le parcours de santé.
— Salut Guillaume. Déjà en tenue à ce que je vois !
— Quand je suis parti de la maison, je n’en menais pas large, mais après quelques centaines de mètres, j’étais bien. Et là, avec quelques pas de jogging au petit trot, j’ai la tenue idéale.
— Tu es parti comme ça, demanda, incrédule, Didier ?
— Tu me connais, répondit Guillaume avec un grand sourire.
— Que trop, lui dit Didier en lui tapant sur l’épaule. En attendant, tout est prêt pour accueillir les participants. Tu es prêt pour ton discours ?
— Pas de discours aujourd’hui. L’objectif est que les gens passent un bon moment, profitent de la zone naturiste et des activités. J’essayerais de passer voir tout le monde. En parlant de monde, on en attend combien ?
— Difficile à dire exactement. Mais, comme on a demandé aux participants de s’inscrire pour des questions d’assurance, trois cent douze se sont inscrits.
— Ça me semble super.
— Ça l’est. Ce qui l’est encore plus, c’est qu’on a la télé régionale qui a confirmé sa présence, quelques journalistes radio et presse écrite, naturisme TV bien entendu. Je m’attends donc à une belle couverture média. D’ailleurs, on t’a prévu quelques interviews. Donc, tu ne disparais pas.
— Aucune chance que je disparaisse. Merci, Didier, pour tout ce que tu as fait.
— Pas de quoi, Guillaume. Je n’ai pas fait grand-chose.
— Si, si, j’insiste. Sans toi et les bénévoles de l’association, ce week-end n’aurait pas pu exister.
— Attends demain qu’il soit terminé. Tu ne me remercieras à ce moment-là.
— Je sais que tout va bien se passer.
Les quelques exposants et animateurs de stand arrivèrent quelques minutes après Guillaume. Ils mirent leurs matériels en place pendant que quelques techniciens finissaient d’installer la sonorisation du concert qui aurait lieu en fin d’après-midi. Le soleil venait de dépasser la cime des arbres et ses rayons commençaient à éclairer et réchauffer la clairière. Les vêtements disparurent et la nudité prit sa place. La fête pouvait commencer.
Les festivaliers arrivaient, certains par grappe, d’autres seuls, en majorité nus. Certaines personnes étaient cependant habillées. Quelques bénévoles de l’ANR avaient pour consignes d’aller à la rencontre de ses textiles et de leur proposer de se dénuder. Certains repoussaient l’idée, alors que d’autres se laissaient tenter, surtout quand ils constataient qu’une majorité de participants étaient nus et que tous les stands et activités n’étaient accessibles qu’aux personnes nues.
Mélanie, la présidente de la fédération, arriva en milieu de matinée et se précipita sur Guillaume et Anne qui discutaient avec Mireille, la belle sœur de Didier, qui était aussi professeure de yoga et qui allait animer pour la première fois de sa carrière trois séances de yoga nu. Anne tentait de la rassurer.
— Guillaume, Anne, ça fait plaisir de vous voir. C’est magnifique ce que vous avez fait là.
— Merci, Mireille, dit Guillaume en l’embrassant. C’est aussi un peu grâce à toi et à la fédération. On n’aurait pas pu y arriver tout seul.
— Mélanie, je te présente Mireille qui va animer trois ateliers de yoga nu.
— Enchantée Mireille, vous pouvez compter sur moi, j’adore le yoga. Je vais venir avec grand plaisir. Pour le moment, Anne, tu permets que je t’emprunte ton mari quelques instants ?
— Non, vas-y, je reste avec Mireille. À tout à l’heure, dit Anne en embrassant Guillaume.
Mélanie prit Guillaume par le bras et s’éloigna de quelques pas.
— Je ne vais pas t’ennuyer longtemps, mais je voulais te dire que TF1 nous a contactés. L’histoire de Rives-sur-Bellongues a fait le tour des rédactions, comme tu peux t’en douter, et du coup, TF1 m’a proposé de venir témoigner au vingt heures dans une dizaine de jours. Je leur ai dit que ce serait bien si tu étais là avec moi. Donc si ça te dit, on peut passer sur TF1 à une heure de grande écoute pour évangéliser le naturisme. Qu’est-ce que tu en penses, c’est génial non ?
— Je ne sais pas si c’est génial, mais c’est une belle exposition pour le naturisme, ça, c’est certain. Je ne sais pas si je serais le meilleur porte-parole. Tu es bien meilleure que moi sur ces aspects communication.
— Arrête de te sous-estimer Guillaume. Je compte sur toi.
— Je vais réfléchir.
— Je vais faire comme si tu allais me dire oui. Je n’ai pas besoin de donner ma réponse avant lundi, tu as donc tout le week-end. Je vais faire un peu de yoga. Tu en aurais bien besoin toi aussi.
Les enfants n’avaient pas été oubliés et une petite dizaine étaient présents pour participer à une gigantesque chasse au trésor et divers jeux. Matthieu avait réussi à convaincre son meilleur copain Jérémy de venir. Ni Jérémy, ni ses parents n’étaient naturistes, mais avaient accepté de venir à la demande d’Anne et de Matthieu. Comme de nombreux néonaturistes, ils avaient longuement hésité et étaient venus habillés. Anne, Guillaume et Matthieu les accueillirent. Jérémy se déshabilla d’emblée, sans trop réfléchir, puisque son copain était « tout nu ». Ses parents avaient plus de réticence. Anne leur confia que c’était tout à fait normal et qu’ils pouvaient rester habiller et prendre leur temps. Elle les invita à la séance de yoga qui allait démarrer. Avant la fin, ils avaient abandonné leurs vêtements et profitèrent du reste de la journée, ayant découvert un confort et une simplicité auxquels ils ne s’attendaient pas.
Ce fut Fabienne qui réveilla Babette ce matin-là. Bien que Babette avait préparé une chambre pour son amie, après le diner, qui se passa rapidement et sans heurts, avec la présence d’Émile, qui ne fit aucun commentaire sur la présence de Fabienne, les deux femmes se retrouvèrent dans le même lit.
— Tu as bien dormi, ma chérie, demanda Fabienne, la tête appuyée sur une main et regardant Babette qui s’éveillait.
— Comme un loir, Fab, répondit-elle en se redressant et en cherchant les lèvres de Fabienne. Et toi ?
— Magnifiquement bien. Je vais ouvrir les volets.
Elle se leva et ouvrit la fenêtre. Les volets ouverts, le soleil inonda la chambre. Fabienne s’avança sur le petit balcon et s’étira, nue, face au soleil. Babette la regardait en souriant.
— Fais attention qu’on ne te voit pas ! Il y a souvent des ouvriers qui travaillent le samedi matin, lui dit-elle.
Fabienne se retourna et revint dans la chambre.
— Ils sont sans doute déjà vu une femme nue, tu sais.
— Ici, non, jamais, répondit Babette. Surtout pas sur mon balcon.
— Il va falloir qu’ils s’habituent alors, dit Fabienne en s’agenouillant sur le lit et en approchant son visage de Babette pour l’embrasser.
— Je crois que j’ai encore envie de toi, Fab.
— Tu as toujours été gourmande, Babs. Mais aujourd’hui, j’ai envie d’aller faire la fête toute nue dans la nature avec toi. Alors, au petit déjeuner et on file. Tu viens ?
Fabienne quitta le lit et se dirigea vers la porte de la chambre.
— Tu ne vas pas comme ça en bas, s’exclama Babette ?
— Je vais choquer ton papa ?
— Je ne veux pas risquer qu’il fasse un autre AVC. Il n’est prêt ni à ta nudité, ni à me savoir avoir une relation avec une femme.
— Bon, c’est bien pour te faire plaisir. Je vais passer un grand t-shirt, ça te va ?
— Je vais faire avec, répondit Babette en se levant et en prenant Fabienne dans ses bras.
Le petit déjeuner terminé, Fabienne insista pour qu’elles aillent au festival naturiste à vélo, ce que Babette accepta de relative mauvaise grâce. Le vélo n’était pas son truc et elle préférait le confort de son Range Rover. Elle ressortit un VTT de la cave, sur lequel elle passa un coup d’éponge et regonfla les pneus. Une bonne demi-heure plus tard, elles étaient arrivées sur le parking du festival et Fabienne se dénuda sans gêne et sans réfléchir.
— Allez, dit Fabienne, tu ne vas pas rester habillée ?
— Je ne sais pas Fab. Tout le monde me connait ici.
— Peut-être, mais tout le monde sera à poil. Tu sais, dans un espace naturiste, ce qui choque ce n’est pas la nudité. Ce sont ceux qui sont habillés.
— Laisse-moi du temps, tu veux bien, implora Babette.
— C’est bien parce que c’est toi Babs. Allez, on y va alors, dit Fabienne en prenant la main de son amie et en suivant les flèches qui indiquaient la direction à prendre.
Des myriades d’idées et de peurs latentes envahissaient l’esprit de Babette Bonnet. Guillaume serait là, elle le savait. Elle ne l’avait jamais vu nu et ne savait pas comment elle allait réagir. Et puis tous les autres, se dit-elle, sa femme, peut-être ses enfants, Didier, sans doute d’autres conseillers municipaux… Son malaise grandit, elle s’arrêta sur le chemin.
— Je ne sais pas si c’est une bonne chose que je t’accompagne, dit Babette.
— Tu as peur de quoi, Babs ?
— Je ne sais pas, ce sont des gens que je connais, qui me connaissent.
— Et alors ? Tu as peur du qu’en-dira-t-on ? Tu as peur qu’on te mette une étiquette naturiste ? Écoute. Je comprends ta peur, j’avais la même, la première fois qu’une copine m’a emmenée nager à la piscine Roger Le Gall. Et puis quand j’ai vu que tout le monde était à poil, nageait comme si de rien n’était et se comportait « normalement », ma peur est partie et j’ai compris en un clignement de cil ce que le naturisme était. Alors, laisse-toi aller et dis-toi que, premièrement, l’appréhension que tu ressens est normale et deuxièmement, tu es libre de faire ce que tu veux. La seule chose que je te demande, c’est de venir avec moi. On est d’accord ?
— D’accord Fabienne. C’est bien pour toi.
— Je crois que je commence à t’aimer Babs Bonnet, et ça c’est pas une bonne nouvelle si tu veux te débarrasser de moi, dit Fabienne en rigolant. Allez, on continue.
Guillaume vit arriver Babette et Fabienne. S’il fut étonné de voir Babette, il n’en dit rien et se dirigea vers elle pour l’accueillir.
— Bonjour, Babette, ça me fait plaisir de te voir là. Il se tourna vers Fabienne en lui tendant la main. Bonjour, je suis…
— … Guillaume, sans doute, le coupa Fabienne en lui serrant la main tendue. Fabienne, une amie de Babette.
— Ravi de faire votre connaissance. Babette vous a donc parlé de moi et de notre projet qui est maintenant devenu réalité.
— Le projet, j’en avais déjà entendu parlé et c’est en fait pourquoi je suis venu.
— Fabienne est une amie de fac, on était en école d’ingénieurs ensemble. Elle m’a trainée ici, mais je t’avoue que je ne suis pas certaine d’être à ma place.
Guillaume vit qu’elle était manifestement mal à l’aise.
— Babette, je suis très heureux que tu sois là et je veux que tu saches que, non seulement, tu es la bienvenue, mais que tu es ici chez toi. Mets-toi à l’aise. Il y a plusieurs néonaturistes aujourd’hui et je suis sûr que certains resteront habillés. Ne te sens obligée de rien. Fabienne, je suis très heureux de savoir qu’une amie de Babette soit naturiste et soit venue pour ce premier festival dans ce nouvel espace.
— Tout le plaisir est pour moi Guillaume.
— Vous voulez venir avec moi, je vais vous présenter à Mélanie…
— … la présidente de la fédération française de naturisme, le coupa encore une fois Fabienne.
— Vous la connaissez, demanda Guillaume ?
— Oui, c’est une amie, confirma Fabienne. J’ai un sauna naturiste affilié à la FFN en région parisienne. Mélanie vient souvent.
Mélanie était en pleine session de yoga. Guillaume n’osa pas la déranger et laissa Fabienne et Babette pour continuer à accueillir les festivaliers qui continuaient à arriver. Les deux femmes rentrèrent discrètement dans le groupe de yoga et se mirent à suivre les positions. Mélanie fit un petit signe à Fabienne qu’elle reconnut. Babette regarda autour d’elle. Son malaise avait pris une nouvelle direction : être habillée au milieu de tous ces corps nus était étrange. Sans plus réfléchir, elle passa son t-shirt par-dessus sa tête et abandonna son short. Sans soutien-gorge, elle était juste vêtue de sa culotte. Elle se concentra sur l’asana et sentit un poids quitté ses épaules. Fabienne lui sourit et lui envoya un clin d’œil. Babette haussa les épaules et répondit par un sourire, qui en disait plus long qu’une longue tirade.