Le piège de la productivité — Quand l’efficacité tue le sens

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Dans les derniers articles, en refermant notre réflexion sur la redéfinition d’une vie bonne, je vous avais laissé cette invitation toute simple : retirer une couche inutile — peut-être ce pyjama — et sentir immédiatement le glissement vers plus de joie. Si vous avez essayé, ne serait-ce qu’un instant, vous savez à quel point un geste aussi élémentaire peut faire taire le bruit du monde. Aujourd’hui, portons cette légèreté là où la plupart d’entre nous passent le plus gros de leurs heures éveillées : le travail.

Je me souviens d’un matin d’automne, il y a quelques années. J’étais assis à mon bureau dans mon bureau à domicile qui donnait sur le jardin. Le soleil se levait à peine, dorant les feuilles de ses rayons. J’étais habillé « business casual » pour un appel vidéo, mais à l’intérieur, je me sentais tout sauf libre. Mon agenda était un champ de bataille : réunions enchaînées, mails qui tombaient comme une pluie incessante, liste de tâches qui grossissait plus vite que je ne pouvais cocher. J’avais tout optimisé : planning en couleurs, applications qui traquaient chaque minute, bureau debout pour « l’efficacité ». Pourtant, à midi, j’étais vidé. Mon chien gémissait à la porte, réclamant la promenade dont nous avions tous les deux besoin. En fixant cet écran rempli de chiffres, j’ai compris : je ne produisais plus de sens, j’étais prisonnier d’une machine qui valorisait la vitesse plus que l’âme.

C’est ce mythe que nous allons démonter aujourdement : l’idée que la productivité est la mesure ultime d’une journée réussie. Le mythe du « toujours occupé ». On nous a vendu que faire plus — mails plus rapides, heures plus longues, processus optimisés — équivalait à succès, accomplissement, voire valeur personnelle. Ce n’est pas qu’un bug individuel ; c’est une tromperie systémique qui a brûlé des millions de personnes et les a déconnectées d’elles-mêmes.

La productivité simple est… efficace sur le papier.
La productivité simple est… creuse en réalité.
La productivité simple est… une voleuse de joie.

Déconstruisons cela pas à pas.

  1. Les racines historiques
    Ce culte de la productivité n’est pas tombé du ciel. Remontons à la Révolution industrielle, XVIIIe siècle : en Grande-Bretagne puis aux États-Unis, les usines transforment le travail humain en horlogerie. On chronomètre, on mesure, on récompense le nombre de pièces à l’heure. Frederick Taylor, début XXe, raffine le concept avec son « management scientifique » : chronomètre en main, on découpe les gestes pour extraire la dernière goutte d’efficacité. Après la Seconde Guerre mondiale, les grandes entreprises en font une religion. La pub nous vend des machines à écrire, puis des ordinateurs, pour « travailler plus intelligemment ». Aujourd’hui ce sont Todoist, RescueTime, Notion : des applis qui promettent de hacker notre cerveau pour un rendement maximal. J’ai vécu ça en entreprise : revues trimestrielles obsédées par les KPI, primes indexées sur le volume, zéro place pour la pause qui fait naître la créativité.
  2. Le coût humain au quotidien
    Imaginez le cadre urbain : réveil 5 h, café-commute, open space qui vibre de notifications. L’entrepreneur rural qui connecte sa petite ferme avec des outils connectés pour suivre les prix imposés par les chaînes mondiales. Le freelance qui court après les 5 étoiles sur Upwork en enchaînant les retouches. Les seniors qui s’accrochent dans des métiers menacés par l’automatisation. Partout, le piège se referme.
    L’OMS parle d’une épidémie mondiale de burnout : plus de 70 % des salariés interrogés se disent épuisés. Aux États-Unis, le stress professionnel coûte des centaines de milliards par an en arrêts maladie. Pourquoi ? Parce que l’efficacité privilégie la quantité sur la qualité. On multitâche, mais Stanford a montré que cela divise l’attention et réduit la performance de 40 %. On court après les deadlines et on oublie la forêt pour l’arbre : relations qui s’effilochent, santé qui s’effrite, créativité qui crève de faim.
  3. Le coût planétaire
    Cette course folle alimente des économies insoutenables. Surproduction = usines qui tournent 24 h/24, combustibles fossiles brûlés à tours de bras, ressources extraites à un rythme infernal. Fast fashion pour « bien s’habiller au bureau », gadgets pour « booster la productivité » qui finissent à la décharge. Selon la Fondation Ellen MacArthur, si nous continuons ainsi, il nous faudra trois planètes d’ici 2050. J’ai moi-même fait l’exercice : ramettes de rapports imprimés, gobelets jetables, ordi changé tous les deux ans « pour plus de perf ». Ce n’était pas seulement mon bureau qui s’encombrait, c’était la Terre.

Mais voilà le virage libérateur : reconnaître le piège, c’est déjà entrouvrir la porte de sortie.

Dans ma vie naturiste, j’ai trouvé l’antidote. Ce matin-là, après m’être vidé la tête, j’ai tout simplement… tout enlevé. J’ai pris la laisse du chien et je suis parti marcher nu sur un sentier proche, sous le soleil. Pas de montre, pas de téléphone. Juste le souffle, le mouvement, la présence. Le travail a attendu. À mon retour, les idées coulaient plus claires, plus justes.
L’efficacité n’est pas l’ennemie ; sa poursuite aveugle, oui.

Le travail durable commence par une pause et une question : qu’est-ce que je produis réellement, et pour qui ?

Des petits essais suffisent. Une amie graphiste a instauré des sessions de « brainstorming nu » chez elle : vêtements au placard, distractions éteintes, une seule tâche, pleine attention. Sa production n’a pas baissé ; son plaisir, lui, a explosé. Des paysans que je connais ont lâché les applis pour revenir au rythme des saisons : récoltes plus saines, sérénité retrouvée.

Philosophiquement, ce piège reflète une déconnexion profonde de notre essence. Aristote parlait d’eudaimonia : l’épanouissement par une activité qui a du sens, pas par une besogne sans fin. Les cultures autochtones travaillaient en harmonie avec les cycles, pas contre eux. Aujourd’hui, la productivité est devenue un faux dieu qui mesure notre valeur en « output » tout en ignorant les « inputs » de joie, de repos, de lien.

Posez-vous la question : quand l’efficacité vous a-t-elle apporté du sens pour la dernière fois ?
Pour moi, c’est quand j’écris un mail réfléchi qui crée une vraie relation, pas quand j’en expédie dix en surface. C’est quand je coache un collègue en marchant ensemble — nus si le lieu le permet — et que l’on se sent égaux.

Travailler avec du sens, ce n’est pas faire plus.
C’est être plus : présent, aligné, léger.

Et vous ? Arrêtez-vous une seconde. Si vous êtes chez vous, retirez une couche. Notez une tâche professionnelle qui vous semble vide de sens. Comment pourriez-vous l’imprégner d’authenticité ?

Dénudez-vous, restez nu·e, vivez nu·e et partagez l’amour du naturisme !

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