3 – Les gites

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Précédemment…

Les deux gites de la ferme étaient occupés par deux couples de Néerlandais, venus passer quelques jours au vert et au soleil. Anne débarrassa la table et attrapa le panier d’œufs frais pour les porter aux locataires. En quelques pas, elle était à la porte des deux habitations que Simon et Guillaume avaient construites il y avait près de cinq ans maintenant.

Après que les deux hommes aient entièrement repris l’exploitation agricole à leurs parents, la question de la diversification des revenus s’est vite posée pour permettre aux deux familles de vivre du fruit de leur travail. Comme ce n’était pas la terre qui manquait et que le tourisme vert était en plein essor, l’idée de construire des gites écoresponsables à côté de la ferme est vite apparue comme une activité intéressante. C’est Anne qui avait eu l’idée en feuilletant Naturisme Magazine.

Renseignements pris, le choix de constructions légères en bois s’est vite imposée. Permis de construire déposé, en quelques mois d’hiver, les lieux étaient montés et Anne assura la décoration, alors que Marie s’occupa de l’environnement paysagiste. Le résultat fut à la hauteur des espérances des deux couples. Il s’agissait alors de deux chalets pouvant accueillir six personnes chacun dans un environnement entièrement entouré d’un jardin méditerranéen sec et d’une piscine commune. 

Les Gites de Rive furent baptisés au printemps et décision prise de faire des lieux un espace naturiste. Il n’était pas possible pour Anne et Guillaume, qui habitaient le corps de ferme avec leurs deux enfants de déambuler nus, sans que les gites ne le soient pas. Le succès fut immédiat et depuis leur construction, il ne s’est pas démenti.

Réservés parfois un an à l’avance, ils accueillent familles, couples et même célibataires, amoureux de la nature, toute l’année, y compris l’hiver. S’il est parfois clément dans la région, le vent du Nord fait parfois chuter les températures. Mais l’isolation et le chauffage au sol en font des abris accueillants où il fait bon passer du temps, nu ou habillé, au choix des locataires. En revanche, les terrasses orientées plein sud et abritées du vent sont le refuge d’un naturisme tranquille et assumé.

Un des couples de Néerlandais prenait son petit déjeuner sur leur terrasse alors que Anne s’approchait.

— Bonjour, je vous apporte quelques œufs frais.

— Ah, bonjour. Merci, c’est très gentil. Mais il y en a trop, dit l’homme qui s’était levé pour venir l’accueillir.

— Vous partagerez avec vos voisins.

— Vous êtes sûre que cela ne va pas vous manquer ?

— Oh non, on en a plein pour nous, répondit Anne de son accent chantant. Je vous laisse le panier, vous me le rapporterez plus tard. Sinon, tout va bien avec le chalet ?

— C’est parfait, dit l’homme en regardant sa femme. Nous sommes très bien. C’est bien que vous êtes naturiste aussi. Ma femme était un peu réticente à venir, mais avec vous, elle est très contente. Elle ne parle pas le français.

— Eh, c’est très bien. Je vous laisse profiter du beau temps. À plus tard.

— Au revoir.

Les locataires regardèrent Anne repartir, nue comme elle était arrivée. Le naturisme leur avait permis de faire de belles rencontres ces cinq dernières années, même si certains locataires n’étaient pas naturistes. Anne avait aussi vu des couples ou des familles de textiles tomber leurs vêtements au contact de Guillaume et des enfants. Le naturisme semblait contagieux au contact des Pétrie. Elle se retourna pour leur faire un signe de la main avant de disparaitre derrière la haie.

Quelques années plus tôt.

— Il parait que les culs nus sont en train de construire des logements pour d’autres culs nus, demanda le père de Babette à sa fille avec sur le visage un sourire narquois ?

— C’est ce que j’ai entendu dire papa.

— Tu vas aller dire à ce cul-terreux de Guillaume qu’on ne veut pas de ça à Rives. Qu’il aille se rhabiller, sinon, je lui mettrais du plomb dans son cul nu.

— Papa, tu sais bien que tu ne peux pas faire ça. Il a tout à fait le droit de construire des meublés de tourisme et de les rendre naturistes. Tant qu’on ne les voit pas de l’extérieur, il est dans son droit.

— Son droit, mon cul. Ses parents m’ont suffisamment fait chier avec leur naturisme par ci, leur naturisme par là. Il est temps de mettre un frein à leur truc, sinon, on finira comme Le Cap d’Agde.

Babette haussa les épaules et tourna les talons pour sortir de la pièce. Elle devait en avoir le cœur net. Elle demanderait à Guillaume ce qu’il faisait demain quand elle irait à la mairie. Le permis de construire, autant qu’elle s’en souvienne, était conforme. Et puis, cela rapporterait des taxes de séjour supplémentaires à la commune. Elle n’y voyait que du gagnant-gagnant, sauf évidemment si c’était encore un espace naturiste.

Ce n’était pas que Babette était complètement contre le naturisme, mais le plus loin de chez elle. Elle supportait les Pétrie parce qu’ils ne gênaient pas leurs affaires, mais les savoir à poil toute la journée achevait de l’énerver passablement.

Les Bonnet avaient ouvert une demi-douzaine de gites, il y a dix ans, mais cela n’avait pas vraiment marché. Ils y avaient été à l’économie, tant dans le bâti que dans l’aménagement, et les avis négatifs avaient eu raison de la rentabilité de l’affaire qu’ils avaient laissée à l’abandon. Pourtant le site était magnifique. Si leur gestion avait été un peu moins radine, le succès aurait peut-être été là. Alors de là à ce que les Pétrie réussissent là ou les Bonnet avaient échoué, le père Bonnet n’avait aucun doute.

— Bonjour, Guillaume, salua Babette en le voyant entrer dans la mairie. Tu peux venir me voir dans mon bureau, s’il te plait ?

— Oui Babette, de quoi s’agit-il ?

Elle laissa passer Guillaume et ferma la porte derrière lui. Elle se remit à parler tout en se dirigeant vers son bureau.

— Assieds-toi. Alors ces gites, ça avance ?

— C’est presque fini, répondit Guillaume en s’asseyant dans un des fauteuils face au bureau.

— Et tu vas les louer à partir de quand, demanda Babette en s’appuyant sur le bord du bureau juste en face de Guillaume.

— On a les premières réservations pour le week-end du premier mai.

— Tu dois être content. Tu auras le temps de t’en occuper ?

— C’est Anne qui gère. Ça va être sa partie. Elle va enfin pouvoir mettre à profit sa licence de tourisme.

— C’est vrai qu’elle a fait des études de tourisme. C’est là que vous vous êtes rencontrés, non ?

— Oui, pendant les cours qu’on avait en commun…

— Et ils sont naturistes tes gites, demanda-t-elle en lui coupant la parole, sur un ton légèrement plus agressif ?

— Oui.

— Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop avec ton naturisme ?

— Qu’est-ce qui te gêne Babette ? Qu’on réussisse là où toi et ton père avez échoué ou qu’on loue à des naturistes ?

— Tu sais que je ne souhaite que ton succès Guillaume, mais ton naturisme, on en a ras la casquette à Rives ?

— C’est qui on, ta famille de mafieux ?

— Tu insinues encore qu’on est mafieux ?

— Je n’insinue rien Babette, j’écoute les Rivains depuis des années.

— Et nous, on en a marre de vous voir à poil et de devoir maintenant se taper d’autres naturistes sur la commune. Je te préviens Guillaume, si je vois un bout de quéquette ou un nibard, je porte plainte.

— Ne t’inquiète pas Babette, je ne te ferais pas ce plaisir, dit Guillaume en se levant. Mais je te fais une promesse : dans quelques années, tu me vendras tes gites et j’en ferais un succès commercial et naturiste.

— Tu peux rêver Guillaume. On se voit demain au conseil municipal.

Guillaume sortit du bureau sans se retourner ni dire au revoir à Babette. Il en avait soupé de Babette et sa clique. Un jour, il tiendrait sa revanche se dit-il.

Anne traversa la cour de la ferme suivie par Roxanne, la femelle braque avec laquelle allait chasser Simon de temps à autre. Si son beau-frère ou son mari allait parfois chasser, c’était surtout pour le plaisir de se retrouver dans la nature et garder les hordes de sangliers sous contrôle. Et puis, ni l’un ni l’autre ne crachait sur un civet de lièvre de temps en temps. Mais ils avaient tous les deux un rapport raisonné à la chasse, à l’opposé de celui des Bonnet qui chassaient tous les week-ends et parfois en semaine pendant la saison, défendant bec ongle leur droit à tuer autant qu’ils voulaient sous le prétexte de l’héritage paysan.

Elle repensa aux locataires. Ils étaient discrets et dans l’esprit naturiste de la famille Pétrie. Tous n’étaient pas toujours comme ça. Elle se souvenait de ces trois couples qui étaient venus pour un pont, l’année dernière et qui avaient confondu naturisme et exhibitionnisme sur les terrasses. Il avait fallu que Guillaume intervienne et leur demande de se calmer, ce qu’ils avaient mal pris. Comme quoi, se dit-elle, la pédagogie n’avait sans doute pas de fin.

Elle rentra dans la maison et se dirigea vers le bureau pour faire le point sur les réservations à venir. Elle alluma le Mac, lança Safari et ouvrit la page des réservations. À deux semaines près, les gites étaient pleins jusqu’à la Toussaint. L’année serait encore plus belle que la précédente. Il était peut-être temps d’agrandir se dit-elle.

Elle se pencha sur les comptes qu’elle n’avait pas faits depuis longtemps. C’est la sonnette de Guillaume qui rentrait qui lui fit réaliser qu’il était déjà midi. Elle n’avait pas vu passer la matinée. Elle se leva et alla à la rencontre de son mari.

— Hello bel homme. Tu es rentré par les chemins toi, dit-elle en voyant son mari sac au dos, casquette sur la tête et baskets aux pieds sans autre forme de vêtements.

— Je ne pouvais pas ne pas profiter de ce beau temps.

— Tu as bien raison. En attendant, je n’ai rien préparé pour le déjeuner. Tu veux que je fasse une omelette ? Il y a des œufs à profusion.

— Allons-y pour une omelette. Qu’est-ce qui t’a occupé comme ça pour sauter le repas, demanda-t-il en embrassant Anne et posant son sac à dos dans l’entrée ?

— J’ai fait les comptes des gites…

— Et, la coupa-t-il ?

— Et, ça s’annonce encore mieux que l’année dernière. Tu ne crois pas qu’il serait temps d’agrandir ?

— On peut peut-être proposer aux Bonnet de racheter leurs gites. Je suis passé les voir l’autre jour et avec quelques travaux, ils sont bons pour être loués.

— Tu crois qu’ils nous les vendraient ?

— Non, mais ça ne coûte rien de demander. Et s’ils ne veulent pas, ce qui devrait être le cas, on n’aura cas construire deux ou trois autres gites sur le terrain d’à-côté. On a un peu de place, il faudra juste que Marie nous fasse un joli terrain paysagé et qu’on fasse pousser une haie pour éviter que les Bonnet nous cherchent des poux dans la tête.

— Avec une haie, ou sans haie, ils nous chercheront des poux dans la tête, répondit Anne en souriant. Mais, ça ressemble à un plan. Va prendre une douche, je vais nous préparer une omelette et tu me raconteras ta matinée.

Anne lui donna une petite tape amicale sur les fesses et le regarda s’éloigner, un sourire aux lèvres. Elle l’aimait vraiment beaucoup ce beau naturiste.

Suite…

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