17 – L’arrêté municipal naturiste

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Précédemment…

Guillaume et Anne mirent pied à terre au début du parcours de santé du Bois de Chêne. Le sentier faisait cinq kilomètres. Une boucle sous les frondaisons de chênes verts. Tous les quatre à cinq cents mètres, un agrès permettait de travailler les bras, les épaules, ou juste l’équilibre. Il était tôt ce dimanche matin, ils étaient partis de la ferme à vélo au lever du soleil, laissant les enfants dormir.

Anne frissonna en enlevant son t-shirt. Le printemps n’avait pas encore fait vraiment son apparition et le fond de l’air était encore frais. Mais réchauffée par les quelques kilomètres faits à vélo, elle était bien résolue à parcourir en tenue de peau les cinq kilomètres du parcours de santé. Guillaume, malgré les conseils de prudence de l’avocat, se dénuda aussi et mit short et t-shirt dans une des sacoches de son vélo. Ils s’élancèrent sur le chemin en comptant bien revenir à leur point de départ en moins de trente minutes.

Quand Anne avait commencé à dire à ses copines qu’elle aimait courir nue, cela avait déclenché rires et regards incrédules. Mais, elle avait insisté, expliquant les bienfaits du mélange du naturisme et de l’exercice. Courir ou pratiquer un sport en tenue d’Adam et d’Ève était non seulement incroyablement confortable, cela rendait la pratique sportive un cran plus agréable. La sueur ne restait pas prisonnière des matières textiles, elle s’évaporait ou gouttait naturellement. Sentir le vent sur sa peau ajoutait une dimension presque mystique à l’expérience.

Ce fut bien évidemment Guillaume qui l’initia au jogging en tenue de peau qu’il pratiquait depuis toujours ou presque. Elle avait été un peu réticente au début, mais les premières expériences avaient eu raison de ses doutes. Ce fut presque une révélation qui ne fit que renforcer ses convictions naturistes.

Au bout de quelques centaines de mètres, la fraîcheur ne se faisait plus ressentir et la foulée s’allongea. La forêt était belle en cette saison. Si elle restait verte l’hiver, le chêne vert renouvelant ses feuilles perpétuellement, la lumière de l’automne la drapait d’un voile doux et accueillant. Guillaume sourit en profitant de cette nature qu’il aimait tant. Arrivés au premier agrès, une barre fixe, ils firent chacun leur tour une dizaine de tractions avant de repartir. Les oiseaux chantaient, ils effrayèrent un lièvre qui détala sans demander son reste et restèrent sur leur garde au son de ce qui ressemblait à une horde de sangliers.

Leur parcours se déroula sans difficulté et sans rencontrer âme humaine qui vive. Ils remontèrent sur leurs vélos et furent de retour à la ferme avant que les enfants se réveillent. Guillaume prit Anne dans ses bras et l’embrassa tendrement, avant d’aller prendre leur douche ensemble et se savonner l’un l’autre avec une douceur et un calme retrouvés. Ils se séchèrent et allèrent préparer le petit déjeuner. Ils avaient prévu d’aller randonuer dans la montagne avec Simon et Marie. La perspective de la journée fit sourire Guillaume qui n’aimait rien de plus que ces longues balades nues dans la nature.

Guillaume relisait une dernière fois le projet de résolution de la création d’une zone naturiste dans le Bois de Chêne. À l’image de la zone naturiste de Bois de Vincennes, à Paris, le naturisme y serait autorisé et donc ne pourrait plus faire l’objet de plainte comme celle dont il avait été la victime, heureuse. Les opposants au naturisme pourraient toujours crier au loup, mais rien ne leur permettrait de réellement s’opposer au projet. Guillaume était persuadé des retombées touristiques pour le village. Les quelques logements que leurs propriétaires avaient ouverts au naturisme, depuis la cyclonue, avaient vu leur fréquentation augmentée.

Article premier. — La pratique du naturisme est autorisée durant les périodes et aux horaires fixés à l’article 2 du présent arrêté, au sein de la zone forestière communément appelée Bois de Chêne située sur la commune et qui est spécialement aménagée à cet effet.

Art. 2. — L’autorisation de pratiquer le naturisme édictée à l’article 1er du présent arrêté correspond aux périodes et horaires suivants : tous les jours de l’année dès le lever du soleil jusqu’à son coucher.

Art. 3. — L’espace où le naturisme est autorisé est signalé par des panneaux d’information.

Art. 4. — Une charte des bonnes pratiques est affichée sur le site.

Art. 5. — Ampliation du présent arrêté sera adressée à :

— M. le Préfet de la Région ;

— aux intéressé·e·s.

Fait à Rives, le 17 novembre 2021

Le support de la fédération avait sans doute aidé, ainsi que les articles parus dans les magazines naturistes, mais aussi dans la presse généraliste. L’effet économique était donc réel et ne ferait que s’amplifier, se dit Guillaume avec une assurance retrouvée. Si ce projet était, comme il le souhaitait et l’anticipait, une réussite, rien n’empêcherait alors celui de la création d’un lotissement, d’un camping et d’une zone naturelle naturistes aussi. Guillaume tourna les pages et relut attentivement la charte de bonne conduite qui serait affichée au début de chacun des chemins permettant d’accéder au bois.

VOUS ENTREZ DANS UN ESPACE NATURISTE

La pratique du naturisme est autorisée au sein du Bois de Chêne toute l’année du lever au coucher du soleil.

Les usagers prennent les engagements suivants sur la pratique du naturisme, la tranquillité et la protection de l’environnement.

Respecter et préserver la nature et l’environnement.

  • Veiller au respect de la nudité tout en restant à l’écoute des personnes pouvant avoir des appréhensions à l’égard de la découverte du naturisme.
  • Respecter la tranquillité des usagers de l’espace naturiste et des promeneurs.
  • Aucune attitude de voyeurisme ou d’exhibitionnisme ne sera tolérée.
  • Les photographies et vidéos, par tous moyens, y compris par téléphone portable sont interdites sans autorisation des personnes se trouvant dans l’angle de vue, dans l’espace de naturisme.

Il reposa les deux feuilles de papier, s’adossa à son fauteuil et sourit, content de lui. Ne restait plus qu’à faire voter le texte, commander les panneaux et les faire poser. Il pourrait alors courir, randonner ou juste piqueniquer dans une des clairières en toute nudité sans aucune crainte juridique. Il ne s’agissait pas d’une première en France, Paris ayant été la commune précurseur, mais autoriser le naturisme toute l’année dans une zone municipale était une nouveauté.

Comme il s’y était attendu, Babette et ses colistiers entretinrent quelques discussions dilatoires, mais rien qui n’empêcha le vote d’avoir lieu et l’arrêté d’être validé.

— Voilà, c’est fait, annonça Guillaume en appelant Mélanie, la présidente de la fédération française de naturisme.

— C’est merveilleux Guillaume, bravo. Tu as prévu une inauguration officielle ?

— Rien n’est décidé. La saison n’est pas forcément la plus accueillante pour le naturisme, même s’il reste quelques beaux jours. Je pensais faire coïncider ça avec le jour du printemps. De quoi fêter le retour des beaux jours et l’avènement du naturisme sur le territoire de la commune. 

— C’est une bonne idée. On peut travailler sur cette date avec Gilles. On va préparer un communiqué de presse et faire un article sur le blog, ça te dit ?

— Ça me semble parfait, remercia Guillaume avant de raccrocher et d’appeler Didier pour informer l’association des naturistes de Rives qui allait gérer la zone.

La nouvelle fit le tour du village et des journaux régionaux et nationaux en quelques heures. Josette reçut des dizaines d’appels et de mails de journalistes du monde entier. Rives était une fois de plus au centre de l’actualité. Guillaume avait demandé à Didier, en tant que président de l’ANR, et à Bastien, en tant que conseiller municipal, de gérer la réponse aux journalistes, ce qu’ils firent de bon cœur. S’ils reçurent un accueil plutôt bienveillant, quelques voix laissaient entendre leur réprobation et dénonçaient l’appropriation d’une zone communale par une minorité de personnes à la tête dérangée.

La discussion fut houleuse le soir même autour de la table du diner des Bonnet. Émile reprocha à sa fille d’avoir laissé faire un débile mental qui allait salir la réputation du village et de la région. Il tempêta que Rives allait devenir comme le Cap d’Agde avec des pervers qui se livreraient à des galipettes et des boutiques de lingeries, des sex-shops et autres lieux de débauche. Il ne décoléra pas et quitta la table en répétant que cela ne se passerait pas comme ça, qu’il y aurait des conséquences.

Babette tenta de le calmer. Elle le rejoignit au salon où il s’était servi un vieux marc. Elle lui expliqua que la zone était limitée, que potentiellement cela pourrait être bon pour le tourisme et les recettes de la commune. Émile lui dit qu’il ne voulait pas de l’argent des culs-nus, qu’ils aillent le dépenser ailleurs que chez lui. Aucun argument ne semblait le faire changer d’avis, ou tout du moins, infléchir sa position. Il répétait comme un disque rayé qu’il y aurait des conséquences.

Babette alla se coucher ce soir-là en proie à quelques doutes. L’argument économique ne pouvait pas la laisser indifférente. Si le naturisme était une partie de la solution au développement du village, alors, elle était plus ou moins d’accord. L’image de Fabienne, son amour de jeunesse, lui revint alors en mémoire. Elle était libre avec son corps, plus libre que ne l’était ou l’avait été Babette en tout cas. Elle se souvint qu’elle déambulait nue dans son appartement et lui avait dit que ses vacances, elle les passait nue aussi, même si Babette n’avait pas expérimenté le naturisme avec elle et restait pudique en sa présence. Et si, à la belle saison, elle essayait, se dit-elle ? Elle chassa l’idée de son esprit, et revint vers le souvenir de Fabienne. N’était-il pas temps de la revoir ?

Suite…

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