22 – Convocation préféctorale

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Précédemment

Josette informa Guillaume, alors qu’il venait de franchir le seuil de la mairie, que le préfet souhaitait le voir, de préférence cette semaine. Il lui demanda s’il avait donné la raison, mais non, le secrétariat avait juste dit que le préfet souhaitait le rencontrer. Guillaume répondit que n’importe quel jour ferait l’affaire sauf mercredi.

Remis de ses émotions, Guillaume était retourné au travail. Les affaires courantes de la commune n’attendaient pas. Le projet d’espace naturiste avançait grâce à Didier qui se démenait pour que le balisage soit en place, organisait des sessions d’informations à la permanence de l’association et préparait la campagne de communication pour attirer le plus de naturistes au printemps.

Josette passa la tête par la porte du bureau pour informer que le rendez-vous serait à la préfecture lundi matin à dix heures. La date et l’heure étaient parfaites. Guillaume nota le rendez-vous dans son agenda personnel et passa à une chose moins ragoutante : le circuit des eaux usées de la commune. La matinée se passa sans écueil et comme à son habitude, Guillaume retourna chez lui, à vélo.

L’hiver était arrivé soudainement cette année en l’espace d’une nuit. Le ciel s’était plombé, la température avait chuté et la campagne s’était couverte d’une fine couche de gelée au lever du soleil. Gants et bonnets avaient repris de l’usage. Un feu crépitait dans la cheminée.

Suite à leur enlèvement, les enfants étaient suivis par un psychologue, mais ils semblaient avoir oublié l’incident. S’ils avaient compris qu’ils étaient prisonniers, ils avaient été traités avec gentillesse. Ils avaient juste trouvé le temps long, car ils n’avaient rien à faire de leurs journées, enfermés dans cette petite chambre, avec juste leurs affaires d’école. Agnès avait bien pleuré, réclamant ses parents, mais Matthieu l’avait consolé en lui racontant des histoires et en jouant le rôle du frère ainé. Le suivi psychologique durerait cependant quelques mois, pour être certain que toutes les pierres soient retournées, confia le médecin.

Guillaume arriva avec quelques minutes d’avance à l’hôtel du département et fut immédiatement reçu par le préfet. Ce commis de l’état était relativement jeune, d’une nouvelle génération censée amener un peu plus de modernisme dans ce grand corps. Il se leva quand sa secrétaire introduisit Guillaume dans son bureau, le gratifia d’une poignée de main ferme et chaleureuse et l’invita à s’assoir dans le coin salon du bureau.

— Je suis ravi de vous rencontrer, monsieur Pétrie.

— Tout le plaisir est pour moi, répondit Guillaume, en s’asseyant dans un confortable fauteuil.

— Merci d’être venu me voir aussi vite. Je voulais vous voir pour d’abord vous transmettre toute ma sympathie après l’enlèvement de vos deux enfants. Père moi-même de deux jeunes enfants, je ne peux qu’imaginer les moments d’angoisse par lesquels vous êtes passés, vous et votre épouse. Je voulais aussi vous donner quelques informations sur la suite de l’interpellation des deux hommes.

— Vous avez pu connaitre leurs motifs, demanda Guillaume, coupant de fait la parole au préfet ?

— Pas encore. Nous ne savons pas qui est derrière cette sordide affaire et si commanditaire il y a. Cependant, grâce à cet enlèvement, si je peux dire, et à l’action des forces de police et de gendarmerie, nous avons pu mettre à jour une filière criminelle complète.

Le préfet se lança alors dans l’explication des ramifications de l’affaire. Il se trouvait que les deux hommes, de nationalité polonaise, leur ont fourni les preuves qui ont permis le démantèlement d’une organisation criminelle utilisant internet et les réseaux sociaux pour extorquer des fonds à des milliers de personnes, partout en Europe, principalement.

Les services de police suivaient depuis plusieurs années maintenant des individus dont la principale activité était l’usurpation d’identité et le chantage par réseaux sociaux interposé. Ils disposaient d’une panoplie complète d’outils numériques pour voler des documents, intercepter des appels téléphoniques, des conversations vidéos, des courriels et des messages instantanés. Le SMS que les Pétrie avaient reçu n’était qu’un des exemples de ce qu’ils savaient faire et c’était sans doute le plus facile.

Ce genre de communication est difficile, voire impossible à tracer. Il existe en effet de nombreux moyens de brouiller les pistes, en particulier en se servant du fameux « dark web », cet internet de toutes les perversions et activités criminelles. Il était fort possible que lors de la rencontre entre Anne et l’homme qui se faisait appeler Cyrek Kaczmarek, le téléphone mobile d’Anne ait été piraté.

— Mais mon épouse n’a pas sorti son téléphone quand elle a rencontré cet individu.

— Inutile de le sortir, la connexion Bluetooth suffit et elle n’est généralement pas protégée.

Le fait est que c’était sans doute grâce au mouchard introduit dans le téléphone que les pirates ont eu accès aux échantillons de voix d’Anne et ont alors pu recréer un modèle suffisamment convaincant pour faire appeler l’école par une complice et se faire passer pour Anne. Les nouvelles technologies d’apprentissage machine permettent maintenant de modifier des images ou des voix en temps réel pour donner l’illusion de la réalité.

Cette organisation était, entre autres choses, spécialisée dans les arnaques amoureuses, subtilisant de véritables identités sur internet, avec comptes Instagram, Facebook et autres pour attirer des pigeons sur les réseaux sociaux, en particulier les sites de rencontre, et finir par leur extorquer des fonds avant de disparaitre. Ils arrivaient même à faire des visioconférences sur WhatsApp ou Skype en donnant l’impression de réalité. Effrayant, dit le préfet. Il n’est pas impossible que le groupe de hackers et de criminels ainsi identifier grâce à cet enlèvement n’en révèle encore plus, en particulier des liens avec d’autres organisations criminelles.

Sans l’enlèvement, la police n’aurait pas pu remonter la filière qui était à l’abri derrière les différents écrans de fumée numériques. Cependant, avec les deux hommes, le lien avait pu être établi et les limiers de la police scientifique passés au travers d’un de ces écrans. Interpol et la police polonaise avaient terminé le travail.

— Comme quoi, parfois d’un événement tragique ressort de bonnes choses pour la société.

— Cette histoire est tout bonnement incroyable.

— Elle l’est et nous rappelle que nous devons être prudents avec tous ces outils numériques qui nous entourent. En tout cas, je suis content que tout se soit bien terminé pour vos enfants. Je voulais aussi profiter de notre rencontre pour vous parler de votre projet de zone naturiste, qui semble, d’une façon ou d’une autre, à l’origine de cet enlèvement.

— Et, demanda Guillaume en fronçant les sourcils ?

— Je ne peux pas vraiment m’opposer à un tel projet sans risquer de m’attirer les foudres de certains groupes, dont certains ont pris de la voix récemment. Cependant, je peux aussi décider que pour des questions de sécurité publique, il est fortement conseillé d’y renoncer.

— Qu’est-ce que le naturisme a à voir avec la sécurité publique ? Si la police fait correctement son travail, ils ont trouvé le véritable coupable derrière toute cette affaire et nous pourrons passer à autre chose.

— Vous le savez monsieur Pétrie, il n’est pas certain que nous trouvions le coupable, si coupable il y a. Cependant, je ne pense pas que vous vouliez qu’un tel événement, voire pire, se reproduise. Je n’ai rien contre le naturisme, il est autorisé en France, il est une source de revenus touristiques importants et une facette de la liberté d’expression chère à notre belle république. Mais, attendez ! Laissez le temps faire son œuvre. Informez comme vous le faites avec l’association que vous avez créée.

— Vous connaissez toute l’histoire, monsieur le préfet. Vos services ont certainement dû vous la donner. La zone naturiste que nous avons décidé de créer est infiniment plus petite que le projet d’origine.

— Auquel j’aurais mis fin, coupa le préfet. Vous ne pouvez pas transformer l’ensemble d’une commune en zone naturiste.

— Leucate ou Agde l’ont bien fait.

— C’est un petit plus compliqué que cela et vous le savez bien, mais passons. Je connais l’histoire et je pense que votre décision de limiter la zone à un bois, basé sur l’expérience de Paris, est une bonne décision. Au vu de ce qu’il vient de se passer, je pense raisonnable de temporiser et de consacrer votre énergie à autre chose. Ce que je vous dis là est personnel. Je pourrais faire annuler votre arrêté municipal à venir pour des raisons de sécurité publique, et l’enlèvement dont vos enfants ont été victimes m’en donne des arguments on ne peut plus fort.

— Je vais y réfléchir, monsieur le préfet. Merci de votre franchise.

— Je vous en prie, monsieur Pétrie. J’ai maintenant à faire, mais j’ai été ravi de vous rencontrer, continua le préfet en se levant et tendant la main vers Guillaume, signifiant la fin du rendez-vous.

Guillaume quitta la préfecture, un gout amer dans la bouche. Tout s’était bien fini pour sa famille et il en était soulagé. Qu’une des conséquences ait été la mise à jour d’une organisation criminelle ne pouvait que le réjouir. Mais que l’autre conséquence soit de potentiellement abandonner son projet était un coup au moral. Il était persuadé au fond de lui que toute l’affaire était purement locale. Si on trouvait le coupable, on enterrait les oppositions. Il marcha jusqu’à la gare, consulta sa montre. Il avait encore une heure avant son train. Il alla chercher un café noir, s’assit à une table libre et repensa au jogging qu’il avait fait nu avec Anne dans le Bois de Chêne avant tous ces événements. C’en était peut-être fini de cette liberté qu’il voulait autoriser dans ce bel espace. Il soupira et laissa le doute envahir son esprit.

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