7 – Le maire sortant

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Précédemment…

Après être passé voir les vaches dont son frère parlait et décider qu’il était temps d’appeler le véto, Guillaume enfourche son vélo, direction la mairie. Il faut battre le fer quand il est chaud, se dit-il. Qu’on ne soit pas d’accord est une chose, qu’on menace en est une autre.

Guillaume vit le Range Rover de Babette de loin. On ne pouvait pas faire plus à l’opposé. Le nouveau maire à vélo, celle sortant, en 4×4 diesel, le ton était donné. Tout ce qui brillait et renforçait l’impression de pouvoir et de puissance était l’apanage des Bonnet.

Il ralentit la cadence pour laisser Babette arrivée la première. Malgré l’évidente différence de vitesse, Guillaume pouvait passer par quelques petites rues inaccessibles aux voitures et de ce fait arriver avant Babette. Il décida cependant de lui laisser l’avantage pour conserver l’effet de surprise.

Josette vit Guillaume franchit le seuil de la port de la mairie et lui fit signe que Babette était dans son bureau. Il lui sourit et acquiesça en levant le pouce. Sans frapper il ouvrit la porte avec détermination. Babette était assise, la tête dans les mains. Elle sursauta et Guillaume vit deux poignards à la place des yeux de la femme.

— Depuis quand on ne frappe pas en rentrant dans le bureau, demanda-t-elle avec agressivité ?

— Depuis que c’est mon bureau, répondit-il en s’approchant. Mais surtout depuis que je retrouve des menaces punaisées sur ma porte, continua-t-il en jetant le papier sur le bureau.

Babette pinça les lèvres. Elle ne s’attendait pas à ce que Guillaume réagisse comme cela. Le gentil Guillaume, un peu mièvre, se dit-elle. Celui qui cherchait toujours le consensus. Jamais un mot plus haut que l’autre. Toujours à trouver des circonstances atténuantes. Enfin, peut-être qu’elle s’y attendait après tout. En le provoquant, il sortirait de ses gonds et feraient peut-être des erreurs qu’elle pourrait exploiter.

— Babette…

— Oui, demanda-t-elle en levant la tête d’un air de défi ?

— Qu’on ne soit pas d’accord, cela est normal. Qu’on débatte, cela est aussi normal. Mais qu’on utilise la menace, cela n’est pas tolérable. Cela n’est pas digne d’une ancienne maire.

— Parce que tu sais ce qui est digne toi qui te ballade à poil avec ta femme et enfants ? La dignité c’est se conformer aux lois de la république et aux bonnes moeurs. La nudité publique n’est ni l’une ni l’autre. Alors ton projet d’espace naturiste, tu vas te le mettre au cul et tu vas faire ce que je te dirais.

— Après mes menaces, les injures. C’est de mieux en mieux. Je ne tomberai pas dans les pièges que toi et les tiens me tendront. Et non, je ne ferais pas ce que tu me diras, ou plutôt ce que ton père me dira. Je te rappelle que tu as perdu. Tu pourras toujours faire opposition, mais les décisions seront prises à la majorité. Tu parles des lois de la république, tu vas devoir t’y conformer Babette. Le temps de l’open bar est terminé…

— Tu insinues quoi, le coupa-t-elle.

— Oh, rien du tout, dit-il un sourire narquois aux lèvres. En attendant, je te laisse l’après-midi pour débarrasser tes affaires et je revois mercredi pour le conseil municipal.

Guillaume tourna les talons, ouvrit la porte avec la même détermination dont il avait fait preuve en entrant, puis s’appuya dessus une fois fermée. Il respira profondément, sous le regard de Josette qui le regardait comme si elle avait vu un extra terrestre.

— Ça va monsieur le Maire, demanda-t-elle ?

— Ça va Josette, merci, lui répondit-il en se remettant en mouvement. On va dire que la passation de pouvoir est un peu… sportive.

— Oh ça, je peux bien le croire. Ce n’est pas mademoiselle Bonnet qui va se laisser faire.

Guillaume sourit à l’utilisation du substantif mademoiselle. Est-ce que ce n’était pas ce célibat qui la rendait agressive, se demanda-t-il ? Il faut dire qu’il faut en vouloir pour rentrer dans la famille Bonnet. Une petite discussion avec Émile suffit à refroidir les plus chauds des prétendants.

— Elle n’a plus le choix cependant, Josette.

— C’est vrai ça, monsieur le Maire. Je suis rudement contente que ce soit vous qui a gagné. Ça va nous changer la vie.

— Merci, Josette. On va essayer, on va essayer. En attendant, vous pourrez donner quelques cartons à mademoiselle Bonnet pour ranger ses affaires ?

— C’est déjà fait monsieur le Maire.

— Merci. S’il vous plait, arrêtez de me donner du monsieur le Maire. Appelez-moi juste Guillaume.

— Oh, je ne crois que je pourrais. Vous êtes monsieur le Maire pour moi. Mais j’essayerai.

— Merci. Je retourne à la ferme, j’ai du travail. On se voit demain matin, à neuf heures ?

— À demain monsieur… Guillaume et bonjour à votre dame.

Guillaume envoya un sourire à Josette et sortit de la mairie. Il mit son sac à dos et enfourcha son vélo. À la sortie du village, il tourna à gauche sur un chemin de terre, s’arrêta, se dénuda entièrement, fourra ses vêtements dans son sac à dos et reparti nu comme un ver à l’exception de ses chaussures.

Il avait besoin de ce moment dans le plus simple appareil. La nudité l’apaisait. Le livre de Julien Wolga, l’héritage du nudisme, lui revint en mémoire, en particulier les passages sur les effets psychologiques de la nudité. Il avait alors fait la relation entre ce bien-être qu’il ressentait nu et les divers mécanisme physiologiques en oeuvre. Le nudisme était tout simplement bon.

Il repensait aux réflexions de Babette sur les lois de la république et les bonnes moeurs. Elle était capable de tout, il le savait. Elle pouvait porter plainte pour exhibition sexuelle et le mettre en difficulté. Même si une plainte n’irait pas loin juridiquement, elle attirerait une publicité dont il n’avait pas besoin. Il se dit qu’il fallait qu’il soit prudent. Pourtant, alors qu’il pédalait nu, il se dit aussi que rien, vraiment rien, ne devait l’empêcher de profiter de cette incroyable liberté. Il se mit en danseuse pour relancer le vélo au milieu de la côte.

Le doute ne le lâchait pas cependant. Et s’il n’était pas à la hauteur. Être conseiller municipal était une chose. Être maire en est une autre. Avec toutes ces personnes mal intentionnées, aurait-il les épaules assez larges ? Il posa le vélo sur le mur de la maison, accrocha le sac à dos au guidon et se dirigea vers l’étable pour voir si le vétérinaire était arrivé ?

Il était à pied d’oeuvre pour aider les deux bêtes à vêler. Guillaume le salua sans que ce dernier ne sourcille face à sa nudité. Il faut dire qu’il avait l’habitude étant lui même naturiste comme il l’avait confié à Simon et Guillaume quand il était venu pour la première fois à la ferme. S’il n’avait pas leur courage, il appréciait ces moments passés en tenue de peau à la plage ou dans son jardin. Guillaume le laissa officier et tira Simon à part.

— Simon, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée.

— Quelle idée, demanda Simon encore tout dans l’action du vêlage ?

— Rives naturiste.

— Pourquoi ?

— Babette et son père. Ils vont tout faire pour contrer le projet. Ils vont nous mettre des batons dans les roues. Tu connais le vieux, il est capable de tous les coups tordus.

— C’est bien pour ça qu’il faut que tu y ailles. On va lui faire ravaler sa morgue et son assurance. Il a déjà pris un coup avec ton élection. Pense. Cinquante ans au pouvoir et pan, un grand coup dans la tête. Il a un genou à terre, c’est le moment de frapper un grand coup. Et puis, on est là avec toi. Tu auras d’autres soutiens.

— Je ne sais pas, coupa Guillaume. Je ne suis pas sûr d’être à la hauteur. Je ne suis pas un « fighter » comme tu dis. 

— C’est bien pour ça que tu vas gagné. C’est une longue randonnée semée d’embûches, pas un sprint. Tu sais comment épuisé tes adversaires. Regarde comment tu nous mets minables quand on part à vélo. Tu es un fondeur, pas un sprinter. Ce n’est pas un emmerdeur qui va t’empêcher de réaliser un rêve, si ?

— Je ne sais pas Simon. Je peux te laisser avec Eric ?

— Oui, je m’en occupe. Va voir Anne.

Guillaume parti, mal à l’aise en proie au doute. Les images de Babette et son père tournaient en boucle dans sa tête. Il se faisait un film des affrontements à venir. Il imaginait des manifestations avec des militants violents. Il imaginait sa famille trainée dans la boue. Rien de positif ne lui venait à l’esprit.

Il trouva Anne, au bord de la piscine, en train de feuilleter un magazine de décoration. Il s’arrêta pour la regarder, une fois de plus. Il était fou amoureux de sa femme. Il sourit et s’approcha.

— Déjà de retour ? Tu as vu Babette ?

— Oui. Elle était comme à son habitude. Mais je ne suis pas certain que faire de Rives un village naturiste soit une bonne idée.

— Elle t’a menacée ?

— Pas directement, mais la lettre est sans équivoque. Elle et son père vont tout faire pour nous mettre des batons dans les roues. Ils vont sortir l’artillerie lourde. Tu les connais comme moi.

— Ce que je sais surtout Guillaume, c’est que tu es un battant et que tu ne dois pas t’écraser face aux Bonnet. C’est ce qu’ils veulent, te faire taire, te contrôler depuis leur tour d’ivoire. Tu as les épaules assez larges pour leur faire front. Qu’est-ce que tu risques en montant le projet et en le présentant. Tu le disais toi-même hier soir. Le pire qui puisse arriver est que le conseil refuse le projet. Tu feras autre chose, on passera à un autre projet. Cela ne nous empêchera pas de vivre.

— Je ne sais pas Anne. Ils sont capables de tout. Regarde comment ils ont fait passer la construction de la zone commerciale. Ils ont sorti toute la panoplie de l’intimidation, ils ont menacé et Dieu sait ce qu’ils ont fait à se pauvre André pour qu’il vende ses terres à la mairie pour une bouchée de pain. Sa fille ne veut pas en parler.

— Va le voir, renseigne-toi. Ne laisse pas tes impressions ou des idées vagues te pourrir la tête. On est tous avec toi. On va rallier du monde. On va faire du tapage. Le moment est idéal, tu l’as dit aussi. Le naturisme, l’écologie, le retour à des valeurs humanistes, c’est ce qui te motive, non ?

— Oui, c’est sûr, mais je ne sais pas.

— Viens nager, ça va te faire du bien.

Anne pose son journal, se lève, prend la main de son mari et l’accompagne vers la piscine. L’eau fraiche aura sans doute raison de ses idées noires.

Suite…

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