25 – L’espoir

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1895

Précédemment

Le procès d’Émile Bonnet fut expéditif. Le juge requit le non-lieu à la surprise générale et mit toute l’affaire sur le dos du Polonais suicidé. L’affaire fut donc classée, mais Émile avait accumulé du stress et de la fatigue. Son hypertension chronique avait eu raison de lui et un léger accident vasculaire cérébral le laissa partiellement handicapé. Il avait toute sa tête, mais laissa les rênes du domaine à Babette. En quelques semaines, il était passé de parrain omnipotent à ombre impotente et s’était retiré dans le fumoir pour apprécier ses havanes et siroter du Marc du Languedoc, contre l’avis de son médecin, en écoutant du Wagner.

Babette n’avait pu qu’accompagner son père en spectatrice. Malgré son handicap, il l’avait laissée à l’écart de ses décisions, des papiers qu’il avait signés devant notaire et de son repli vers le fumoir. Elle avait tenté de venir le voir plusieurs fois, mais il l’ignorait ou en tout cas feignait de l’ignorer. Et puis, un matin, alors qu’elle s’apprêtait à venir lui dire au revoir, il la regarda dans les yeux et lui dit : « tu diras à Guillaume deux choses. Un, ce n’est pas moi qui ai fait enlever ses enfants. Deux, il peut faire ce qu’il veut de Rives, le village est désormais à lui. » Puis il se tut, alluma un Montecristo numéro 2 et monta le son de l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, signifiant que l’entretien était fini.

Babette sortit et monta dans son Range Rover. Sur le chemin, elle demanda à Siri d’appeler Guillaume, ce que l’assistant vocal fit. La voix de Guillaume résonna dans l’habitacle du 4×4.

— Allo, Babette ?

— Bonjour Guillaume. Comment vas-tu ?

— Ça va. Mieux. Et toi ? Je suis désolé pour ton père.

— Oh, il ne faut pas, il n’a que ce qu’il mérite au final. C’est en fait à cause de lui que je t’appelle.

Guillaume se tut.

— Je viens de le voir et il m’a demandé de te dire deux choses…

La conversation ne dura que quelques secondes supplémentaires et Babette lui souhaita une bonne journée. Guillaume raccrocha et posa son téléphone, pensif. Était-ce deux mensonges ? Devait-il continuer à se méfier ? Il reprit le téléphone et appuya sur le nom de Babette. Elle décrocha avant même la première sonnerie.

— Babette, de ce que tu viens de me dire, je ne peux pas croire le premier point. Si c’est un mensonge, pourquoi le second ne le serait pas aussi ?

Babette ne répondit pas immédiatement. Elle réfléchit quelques instants à sa réponse.

— Je ne crois pas que ce soit un mensonge Guillaume. Il est coupable et aurait dû être déclaré coupable, ça ne fait aucun doute. Je pense qu’il faut entendre la phrase non pas sous l’idée que l’enlèvement de tes enfants ne venait pas de lui. Il avait sans doute donné ordre de t’effrayer, mais pas de toucher à la chair de ta chair. Je connais Papa. Il sait être violent et têtu, mais je ne le vois pas faire du mal à un enfant, même à celui de son pire ennemi.

— Tu veux dire que le choix de l’action n’était pas le sien ? C’est ce dont il se défausse ici.

— Je pense oui. De ce fait, pour lui, c’est sa vérité. Et du coup, il pense aussi la seconde partie de la phrase. Rives est à toi, il n’interviendra plus directement ou indirectement pour t’empêcher de diriger le village.

— Et toi ?

— Et moi quoi ?

— Tu n’interviendras plus directement ou indirectement pour m’empêcher de diriger le village ?

— Je suis conseillère municipale Guillaume. Je dois donc apporter ma voix aux idées et aux décisions. Mais… Babette hésita. Disons que je vais essayer de changer de méthode.

— Cela veut dire quoi ?

— Que… je vais mettre de l’eau dans mon vin, ce qui est un comble pour un vigneron, tu en conviendras, dit-elle en riant et en tentant de désamorcer la situation.

— Donc plus d’intimidation ou d’action plus ou moins violente ?

— Non, tu as ma promesse. Plus de telles choses.

— Et donc, tu laisses faire pour l’espace naturiste du Bois de Chêne et l’extension du nouveau lotissement ?

— Je laisse faire. Je voterai contre, mais ne ferais pas d’obstruction qui ne soit pas constructive.

— J’ai ta parole ?

— Tu as ma parole.

— Merci Babette. Bonne journée. On se voit demain au conseil.

Guillaume raccrocha et fila voir Anne.

— C’est bon, s’exclama-t-il !

— Qu’est-ce qui est bon, demanda incrédule sa femme ?

— La zone naturiste. Je viens de raccrocher avec Babette et elle m’a confirmé que ni son père ni elle ne ferait obstruction au projet.

— Et tu la crois ?

— Oui. Je crois surtout que l’incident de l’enlèvement et l’AVC, même léger, d’Émile l’ont marqué et fait changer d’avis.

— Si tu le dis.

Guillaume embrassa Anne et fila dans le bureau pour relire le projet d’arrêté municipal. Seul le préfet pouvait maintenant s’y opposer. Il prit une longue inspiration et appela la secrétaire. Elle confirma qu’il avait un créneau libre entre trois heures et trois heures et demie aujourd’hui. Guillaume consulta les horaires de train et vit qu’en prenant le train de treize heures douze, il serait en avance au rendez-vous. Il lui restait la matinée pour s’occuper des affaires courantes et ajouter l’arrêté naturiste à l’ordre du jour.

La secrétaire le fit s’assoir en attendant que le préfet le reçoive. Il feuilleta Paris Match qui se trouvait sur la table basse. Il s’arrêta sur une citation mise en exergue de l’actrice et mannequin : « Je n’ai jamais eu de problème avec la nudité ». Il se mit alors en tête de la contacter pour en faire l’ambassadrice du village et de ses zones naturistes. La porte s’ouvrit alors et le tira de sa rêverie, voyant Laetitia déambuler dans le plus simple appareil dans le Bois de Chêne.

— Monsieur Pétrie, venez, dit le préfet en lui serrant la main et en le faisant rentrer dans le bureau.

Les deux hommes se rassirent aux mêmes places que celles occupées lors de leur dernier entretien.

— Que puis-je faire pour vous ?

— Je voulais vous informer que j’allais présenter l’arrêté municipal autorisant la création des zones naturistes dont nous avons parlé lors de notre dernier rendez-vous.

— D’accord. Vous passez outre mon conseil, donc ?

— Non monsieur le préfet. J’en ai tenu compte. Il m’a fait beaucoup réfléchir et jusqu’à ce matin, il était sur le point d’être enterré. Mais ce matin, Babette Bonnet m’a dit ne plus s’y opposer et surtout m’a informé que son père n’y ferait plus obstruction.

— Vous n’êtes pas sans savoir qu’Émile Bonnet, que je connais bien, a été relaxé, répondit le préfet en coupant Guillaume.

— En effet monsieur le préfet. Il a confirmé à sa fille qu’il n’était pour rien dans l’enlèvement de mes enfants. Ce que je ne crois pas, et personne ne croit, à part le juge qui a prononcé le non-lieu. Cependant, dans le référentiel de réalité de la famille Bonnet, il n’est en effet pas responsable de cet enlèvement. Ce n’était ni son idée ni sa demande à ses amis criminels. Mais ce qu’il a surtout dit à Babette qui m’a fait changer d’avis est que « Rives était à moi et que je pouvais y faire ce que je voulais ».

— Hmmm hmmm, répondit le préfet en secouant la tête.

— Alors, bien évidemment, ceci est une image, car Rives reste à ses habitants. Mais le message est fort venant d’Émile Bonnet.

— J’en conviens. Et vous lui faites confiance ?

— Oui. Je fais surtout confiance à Babette. Je veux croire en l’avenir, au progrès et à l’évolution des idées pour le bien commun.

— Et se balader à poil dans la nature est une évolution positive du bien commun selon vous ?

— Le naturisme n’est pas que la nudité simple. Vous en connaissez la définition officielle reprise par la fédération française de naturisme ?

— Non, éclairez-moi !

— Le naturisme est une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par la pratique de la nudité en commun, ayant pour conséquence de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et de l’environnement. Vous voyez, le naturisme, c’est avant tout une histoire de respect de soi, des autres et de la nature. Les zones naturistes de Rives seront totalement alignées sur cette définition.

— Eh bien, si c’est votre projet, allez-y, monsieur Pétrie. Comme je vous le disais l’autre jour, je ne m’y opposerai pas. J’ai, sans diminuer la valeur de ce que vous faites et de l’importance qu’a le village de Rives dans la région, des dossiers plus importants qui requièrent mon attention et mon action. Si cette zone naturiste ne porte pas préjudice à la sécurité publique et peut avoir des effets bénéfiques pour Rives, je vous laisse le faire. Bon retour chez vous, Guillaume, et mes respects à votre charmante épouse, dit le préfet en se levant et en tendant la main à Guillaume.

Le retour en train fut diamétralement opposé au précédent. Guillaume exultait. La voie était libre, Rives pouvait prendre le chemin de la reconnaissance du naturisme pour le bien commun des habitants et des visiteurs. En sortant du train, il enfourcha son vélo et ne mit jamais aussi peu de temps à rentrer chez lui. Il fit un détour pour s’arrêter au Bois de Chêne. Il posa son vélo contre un arbre au début du parcours de santé. Malgré le froid, il se mit nu et leva les bras au ciel en signe de victoire. Dès demain, se dit-il, la nudité simple serait ici protégée et encouragée. Avec le lotissement, il était sûr que des naturistes de toute la France, de l’Europe, voire du monde entier, allaient venir à Rives pour pouvoir vivre leur nudité en liberté. Il fourra ses affaires dans son sac à dos, enfourcha son vélo et repartit nu, un immense sourire illuminant son visage.

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